2019

Le poisson rouge tourne dans son bocal. Il semble redécouvrir le monde à chaque tour. Les ingénieurs de Google ont réussi à calculer la durée maximale de son attention : 8 secondes. Ces mêmes ingénieurs ont évalué la durée d¹attention de la génération des millenials, celle qui a grandi avec les écrans connectés : 9 secondes. Nous sommes devenus des poissons rouges, enfermés dans le bocal de nos écrans, soumis au manège de nos alertes et de nos messages instantanés. Une étude du Journal of Social and Clinical Psychology évalue à 30 minutes le temps maximum d¹exposition aux réseaux sociaux et aux écrans d¹Internet au-delà duquel apparaît une menace pour la santé mentale. D¹après cette étude, mon cas est désespéré, tant ma pratique quotidienne est celle d¹une dépendance aux signaux qui encombrent l¹écran de mon téléphone. Nous sommes tous sur le chemin de l¹addiction : enfants, jeunes, adultes. Pour ceux qui ont cru à l¹utopie numérique, dont je fais partie, le temps des regrets est arrivé. Ainsi de Tim Berners Lee, « l¹inventeur » du web, qui essaie de désormais de créer un contre-Internet pour annihiler sa création première. L¹utopie, pourtant, était belle, qui rassemblait, en une communion identique, adeptes de Teilhard de Chardin ou libertaires californiens sous acide. La servitude numérique est le modèle qu¹ont construit les nouveaux empires, sans l¹avoir prévu, mais avec une détermination implacable. Au cúur du réacteur, nul déterminisme technologique, mais un projet qui traduit la mutation d¹un nouveau capitaliste : l¹économie de l¹attention. Il s¹agit d¹augmenter la productivité du temps pour en extraire encore plus de valeur. Après avoir réduit l¹espace, il s¹agit d¹étendre le temps tout en le comprimant, et de créer un instantané infini. L¹accélération générale a remplacé l¹habitude par l¹attention, et la satisfaction par l¹addiction. Et les algorithmes sont aujourd¹hui les machines-outils de cette économie Cette économie de l¹attention détruit, peu à peu, nos repères. Notre rapport aux médias, à l¹espace public, au savoir, à la vérité, à l¹information, rien n¹échappe à l¹économie de l¹attention qui préfère les réflexes à la réflexion et les passions à la raison. Les lumières philosophiques s¹éteignent au profit des signaux numériques. Le marché de l¹attention, c¹est la société de la fatigue. Les regrets, toutefois, ne servent à rien. Le temps du combat est arrivé, non pas pour rejeter la civilisation numérique, mais pour en transformer la nature économique et en faire un projet qui abandonne le cauchemar transhumaniste pour retrouver l¹idéal humain