« Les gens seraient étendus sur la plage ou bien, sirotant un apéritif, ils s’apprêteraient à déjeuner,
et ils entendraient causer de Montaigne sur le poste. Quand Philippe Val m’a demandé de parler des Essais sur
France Inter durant l’été, quelques minutes chaque jour de la semaine, l’idée m’a semblé très bizarre, et le défi
si risqué que je n’ai pas osé m’y soustraire. D’abord, réduire Montaigne à des extraits, c’était absolument contraire
à tout ce que j’avais appris, aux conceptions régnantes du temps où j’étais étudiant. À l’époque, l’on dénonçait la
morale traditionnelle tirée des Essais sous la forme de sentences et l’on prônait le retour au texte dans sa
complexité et ses contradictions. Quiconque aurait osé découper Montaigne et le servir en morceaux aurait été
aussitôt ridiculisé, traité de minus habens, voué aux poubelles de l’histoire comme un avatar de Pierre Charron,
l’auteur d’un Traité de la sagesse fait de maximes empruntées aux Essais. Revenir sur un tel interdit, ou trouver
comment le contourner, la provocation était tentante.